Samedi J’ai commencé le voyage africain hier soir
Samedi
Je me suis arrêté au
retour à Trocadéro, et me suis installé sur la terrasse du Musée de l’Homme
pour lire les premières pages de l’Afrique Fantôme de Leiris.
Le lieu même où se
constituaient, partaient et revenaient les missions ethnologiques des années 30
qui sont je crois à l’origine de la collection du Musée de l’Homme.
Le récit m’intéresse
mais les limites de l’esprit d’un
intellectuel français éclairé des années 30, même s’il s’appelle Leiris, par son esprit critique exacerbé l'empêchent d'atteindre son but. Il
semble plus éclairé que certains de ses collègues de l'époque, avoir plus de distance et être sans
illusion sur cette période coloniale finissante mais son son
scepticisme, son esprit critique, sa "conscience" politique l’empêchent de lacher prise et de goûter
l’Afrique (que je ne connais pas encore) pour ce qu'elle a de plus intéressant me semble-t-il. Il n'est jamais
être dépassé, ni enthousiaste, ni dérouté, ni submergé par ce qu’il voit. Une légère ironie désabusée
qui semble le fatiguer lui-même domine sa perception de tout et je comprends sa lassitude, car c'est un
handicap de toute sa perception qui remplace le point de vue colonial par
la supériorité de l’intellectuel européen qui croit, dans ces années là,
au progrès, à la raison etc. etc.
Dans la lecture de son journal il n’y a que 2 mois qu’il est en Afrique, il y restera je crois 2 ans, peut-être les choses vont elles changer… mais ce qui m’amuse, c’est que parti pour étudier les rites magiques, les fétiches, les masques… africains il semble bien démuni pour en comprendre la magie et qu'intuitivement il le sait.
Il "sait" d'avance que la magie n'existe pas... Je pense à Alexandra David-Neel qui, avec son athéisme et son scepticisme mordant partait pourtant à la rencontre des magiciens d'Inde et du Tibet et les rencontrait !
Elle les écoutait avec humilité, puis, initiée par eux, elle continuait en superposant athéisme + mysthicisme + magie + humour + ...tout ce qui pouvait venir et qui était un mystère nouveau qu'elle savait accepter.
Il faut beaucoup de liberté pour supporter ces montagnes russes de la pensée.
J'ai pris Léopold Senghor aussi dans ma valise !
Nous avons volé au
dessus de l’Espagne sous un soleil de fin d’après-midi puis sur l’Algérie avant
de voir l’Afrique dans une lumière rouge et poussiéreuse au moment du coucher
de soleil.
Arrivée à
Ouagadougou à 20 heures, la nuit tombée avec une température qui approche 40°
et une odeur de bois brûlé.
Nous avons négocié
de bonne humeur le prix pour qu’un taxi nous conduise à l’hôtel Lybia .
J’aime énormément les premières
minutes dans un pays, et la perception synthétique qu’on en a.
Ce qui me plait
instantanément ici, c’est le calme et l'humour lascif, pas de
rapports de forces mais beaucoup de jeu et de courtoisie. J’imaginais une
Afrique plus "hystérique", alors que ce que j’ai vu en arrivant ce sont des gestes
lents et des plaisanteries. La route qui conduit à l’hôtel de nuit est ce que
j’imaginais, des constructions sommaires, des lampadaires et du sable suspendu
dans l’air qui nimbe l’ensemble d’un flou rougeâtre.
L’hôtel Lybia
construit pour ou par Kadhafi, et où
nous logeons est un grand immeuble moderne au milieu de nulle part (les quartiers récents de Ouagadougou appelés Ouaga 2000). Le hall et
les couloirs sont habités de toutes sortes de sculptures, masques et tableaux .
Nous avons mangé une
salade de crevettes et de pamplemousses au 10 ème étage. Demain
Ouagadougou de jour.
Dimanche Ce matin nous avons passé une heure au
Dimanche
Ce matin nous avons
passé une heure au bord de la piscine avant de prendre un taxi pour
nous conduire dans
le centre de Ouagadougou.
Un dimanche à
Ouagadougou.
Nous sommes entrés
dans la cathédrale, une longue cathédrale en pierre rouge construite dans les
années 30, l’intérieur est rose et jaune… nous nous sommes arrêtés dix minutes
pendant la messe au milieu des fidèles qui chantaient et priaient avec des
lunettes de soleil, des coiffes sophistiquées et des chemises brodées.
Puis nous avons
descendu les longues avenues de la ville sous un soleil brûlant et une lumière
blanche.
Les avenues sont ponctuées par de larges places avec au milieu un monument commémoratif. La place de la révolution et sa fresque communiste, la Place des cinéastes et ses bobines superposées de cinéma, en béton, la Place des nations unies qui tourne autour d’un globe… au centre d'une autre il y a un lion mais je ne sais pas comment elle s'appelle.
Ce qui me frappe et
m’intéresse beaucoup c’est l’architecture sixties qui reprend les motifs des
masques et des sculptures de l’art africain. Formes géométriques, façades très
dessinées qui rappellent certaines recherches des artistes cinétiques des
années 60.
J’aime beaucoup!
On voit se dessiner en arrière plan de ces
bâtiments la pensée et les politiques de l’Afrique des années 60, à l’époque où
les chefs d’états comme Léopold Senghor et ses camarades construisaient une
« nouvelle Afrique » et la conduisaient vers des modes de vie et une
modernité internationale qui a donné cette forme à il me semble pas mal de
villes du continent.
Il semble que les
choses n’aient pas suivi cette perspective et ce n’est pas si grave…
Il parait que tout a beaucoup changé depuis deux ans, et que les grosses sociétés implantées en Côte d'Ivoire se sont souvent déplacées ici...
Rien de sinistre
dans cette ville, pas même des voiles noirs sur la tête des femmes, les
ouagalaises sont élégantes et réveillées, elles conduisent en robes africaines et
coiffes sophistiquées leur deux roues chinois…
C’est dimanche et
la rue est calme, demain ce sera peut-être plus agité.
Nous sommes entrés à
l’Hôtel de l’Indépendance pour boire une bière locale faites à partir de mil au
bord de la piscine dans une ambiance très très sixties. Même Demis Roussos chantait "it's five o'clock" au dessus de la piscine bouillante...
Puis nous avons
descendu une autre avenue, et nous nous sommes arrêtés à la Palmeraie, un beau
restaurant dans un jardin entouré de murs au cœur de la ville.
Sous les arbres les
hommes font la sieste et la chaleur reste accrochée à 40°c.
Là, changement de
décor et de population, les riches businessmen libanais passent la fin
d’après-midi au bord de la piscine à faire des affaires et ils sont paraît-il nombreux à vivre à
Ouagadougou et dans toutes les villes de l’Afrique de l’Ouest.
J’aime ces
connections et ces réseaux qui se tissent sur la planète en dehors de l’Europe,
Beyrouth à Ouagadougou tout comme on avait vu les pays du Golfe venir s’amuser
et faire des affaires avec entrain et une belle excentricité au Caire il y a quelques mois…
Coucher de soleil
rouge sur le désert et la savane africaine.
Lundi 1er mai à Ouagadougou, qui me rappelle
Lundi
1er mai à
Ouagadougou, qui me rappelle d’autres 1er mai, comme le 1er
94 à Berlin, où je regardais sur L’Alexanderplatz Mitterrand et Kohl chanter le
chant des partisans en français pour les 50 ans de la libération, ou bien le 1er
mai il y a deux ans à Calcutta où je me promenais toute la nuit dans les rues,
désespéré de devoir quitter la ville le lendemain.
Le fait de connecter
ces dates, superpose les lieux et ce qui les a conduit à être ce qu’ils sont au
moment où j’y suis, comme les éléments que je fais rencontrer et relie dans mes
images.
Journée africaine,
nous avons pris plusieurs bains et fait des siestes avant de pouvoir nous
mettre en marche vers 16 heures.
Nous avons demandé
au taxi de nous conduire au barrage de Boulmigou sur la route de Bobo. On longe
les faubourgs animés avec les boutiques et les fameuses enseignes africaines
puis on quitte rapidement la ville et on arrive au bord d’un lac presque
complètement asséché.
Les enfants se
roulent dans la boue et je pense que c’est pour les bienfaits que ça leur
procure, peut-être est ce un bain d’argile… nus et recouverts de terre séchée
ils ressemblent à des sadhous indiens qui se recouvrent de cendre et se
promènent nus dans les embouteillages de Bombay ou Calcutta.
J’ai pris un bon
nombre de photos des deux côtés de la route vers le lac asséché puis sur cette
route avec des cyclistes élégants qui se rendaient ou sortaient de Ouagadougou
et puis de l’autre côté avec les villages et les cultures de potagers pourtant
en plein Sahel.
C’est curieux il y a
toutes sortes d’échoppes avec des articles conçus pour les touristes, mais il
n’y a pas de touristes, je ne sais pas où s’écoulent tous ces objets qui
s’adressent à des personnes qui n’existent pas…
Nous sommes remontés
par l’avenue de Général de Gaule puis une autre, jusqu’au Palais Présidentiel.
L’atmosphère en fin
d’après-midi dans Ouagadougou est très agréable. La lumière est orangée, les
grandes avenues ombragées sont parcourues dans les deux sens de vélos et de
motos avec des visages calmes qui les conduisent. A la nuit tombée nous sommes
allés dîner dans le lieu où il faut dîner à Ouagadougou, le Gondwana.
Au nord de la ville
dans la zone du bois, différentes cases et tentes touaregs remplies de masques,
statues et tapis dans un très beau jardin.
Nous sommes servis
par des ouagalais mais c’est évidemment un jeune français qui a imaginé ce
lieu.
Nous avons discuté un moment avec lui, j’aime bien ces français qu’on rencontre un peu partout sur la planète et qui ont envie de s’offrir une vie un peu différente en créant un lieu qui leur ressemble dans un lieu de la planète qui ne leur ressemble pas.
J’en ai rencontré en
Inde mais aussi à Shanghai un 25 décembre dans l’église russe transformée en
restaurant branché.
Celui-ci était
réservé et courtois comme les ouagalais et visiblement ravi de vivre ici.
Moi, si on me
proposait de vivre un an à Ouagadougou je dirais oui, ils ont une façon pas si
désagréable de vivre le XXI ème siècle, moins angoissante que la notre !
Nous sommes revenus
vers Ouaga 2000 par des avenues encombrées puis des sortes d’autoroutes vides
avec des monuments martiens éclairés dans la nuit comme celui de la place
d’Afrique où on n’a l’impression d’être dans l’univers d’un film de science fiction
des années 70. Ca aussi ça me plait, mais quel que soit l’endroit où je me
trouve sur la planète je m’imagine facilement dans un film de science fiction
c’est une façon personnelle de m’amuser de ce XXI ème siècle.
Mardi Je suis très bien à Ouagadougou ; dès
Mardi
Je suis très bien à
Ouagadougou ; dès l'ouverture du balcon le matin, la chaleur qui
s’engouffre dans la chambre, la ville horizontale et sablonneuse avec des bouquets
d’arbres sous la lumière crue enlève tous les nuages d’anxiété et de froid
accumulés cet hiver à Paris.
Cet hôtel est drôle
car il rassemble toutes sortes de figures comme c'est le cas dans tous les hôtels. Mais nous
ne sommes pas beaucoup, et ce décor d’hôtel chic construit par Kadhafi dans la
savane donne déjà une impression intéressante.
On croise dans le
hall et au bord de la piscine des personnes, et on se demande « qu’est-ce
qu’ils font à Ouagadougou eux ? », « D’où crois tu qu’ils
viennent ? » pour presque tous la réponse reste en
suspens…
Une blonde qui lit
des romans en fumant des cigarettes depuis 3 jours au bord de la piscine, un
ambassadeur africain très classe, en costume blanc amidonné qui est en relation
avec des blancs qui portent des vêtements démodés de l'époque de Giscard comme souvent les blancs qui
ont quitté l’Europe il y a 15 , 20 ou 30 ans.
Des enfants à qui une femme demande « tu préfères ici ou Dakar ? » et qui répond « j’aime les deux mais pas la Côte d’Ivoire ».
Un couple avec leur
belle mère, qui se promène dans le hall en face le presque désert en robe de
soirées, hier noire, aujourd’hui rouge…
Des jolies blacks en
escarpin et jupes courtes…
Pour les Libanais en
costume, ou plus branchés selon s’ils sont nés en Afrique ou s’ils viennent de
Beyrouth, on sait d’où ils viennent et ce qu’ils font et ils donnent une
ambiance mafieuse et masculine dans cet hôtel où ils font leurs affaires assez
fascinante.
Par contre les rues
alentours grouillent de marchandises, sous le soleil, dans la musique, la
poussière, les cris, les rires, les mobylettes chinoises…
Nous avons tourné un
long moment dans le centre puis nous nous sommes rendus dans une villa que l’on
nous avait indiqué la veille où un antiquaire français vend ses objets. Je voulais
acheter un masque du Gabon dont les traits me rappellent les visages asiatiques.
Nous l’avons rencontré, puis sa mère, une sorte d’Anouk Aimée qui a passé 40 années en Afrique et en passera encore pas mal nous a raconté longuement sa vie africaine… depuis les années 60, dans sa villa de Conakry, à la Mauritanie où son mari était en poste pour une compagnie aérienne avant de repartir pour Lomé, Niamey, le Tchad… et enfin Ouagadougou.
C'est les paysages mauritanien qu'elle dit préférer.
Une femme intelligente qui ayant quitté la France sous de Gaulle et n’y reviendra peut-être jamais…
Sa connaissance et
son goût pour l’Afrique était agréable à écouter.
Son passé m’évoquait
toutes sortes d’images intéressantes…
Nous sommes revenus à l’hôtel « masqués » et avons plongé dans la piscine au coucher
de soleil avant de décoller pour Niamey puis Paris…